Comté de Dunegal, Irlande, juin 2001
Les paysans et les pêcheurs irlandais sont en constante
observation des éléments. Au bike shop, où j'ai acheté encore un autre
pneu et où je me vantais d'avoir connu que du beau temps, le vieux
monsieur m'a regardé et m'a dit :
-"It's gonna break young man !"
-"How do you know ?", lui répondis-je en testant mon accent irlandais,
-"I can fell it in my bone !"
Et sa femme de renchérir du vieil adage anglais : "red sky at night,
sailor's deligh, red sky in the morning, sailors take warning" ...
En voyage à vélo, on devient un peu comme ces vieux pêcheurs irlandais à
la figure maganée par le vent, la pluie, et probablement aussi par la
Guinness... : on apprend à faire avec les éléments !
Earth
Les cultivateurs de la côte Ouest de l'Irlande ont, depuis des siècles, à
dealer avec une terre aride, pleine de roches, et la plupart du temps
infertile anyway.
En vélo, c'est le revêtement qui est le premier élément de friction. Ici,
quelques fois il y a de la belle alsphate, mais ben souvent, c'est cette
espèce de mix entre de la roche "3/4" et du bitume ; ça ralentie et c'est
mortel pour vos pneus ; ça les use et ça favorise les crevaisons. En fait,
j'en suis à 5 "flats" depuis le début du voyage ; à 6 je vais battre mon
record de tous les temps en cyclotourisme !
De toute façon, ici, très peu de cyclosportifs roulant sur des boyaux de
20, 23 ou 25 mm ; j'en ai vu 2 en une semaine et demi. Sur ce genre de
pavage, ça doit tellement vibrer, qu'après une ride de 70 - 100 km un
cycliste bégaye en parlant tellement il s'est fait brasser le derrière !
Rain
Bon ben, welcome to Ireland !!
Comme les irlandais le disent ; s'il ne pleut pas maintenant, attendez un
peu, ça va venir !
En fait, y a rien là, si vous êtes bien équipé et que c'est pas trop froid
: on s'y habitue. Mesdames: oubliez le mascara par exemple ...
Hill
Welcome to Ireland (again) !
Vous n'aimez pas les côtes ? ( ou les bosses comme disent les vrais de
vrais cyclistes ), ben restez à l'aéroport et tournez en rond dans le
stationnement : l'Irlande c'est des bosses, pis des côtes, pis des fois
des cols de montagnes !
Le seul endroits où le relief est plat, c'est dans les pubs, et de toute
façon après 2 ou 3 "pints", là aussi ça devient valonneux ... !
Anyway, on aime ça les bosses : c'est une question de technique et de
cinéma !
Premièrement, ce qui est bien avec les côtes est qu'on peut les "sizer":
le cycliste sait quand elle débute et il sait quand elle se termine (à
moins d'être dans un vrai col de montagne avec une montée en "serpentin";
c'est alors "avantage pour" en faveur de la montagne ! )
Il suffit de commencer "trop lentement", d'utiliser ses vitesses, de se
donner un "beat" (beaucoup de cyclistes chantent en grimpant; moi j'écoute
du techno sur mon Walkman; si je chante, j'éloigne la faune...), et de
s'en "garder sous la pédale" comme le dirait mon confrère Bruno Durand de
VéloZone St-Jean sur Richelieu : ( plogue !, à propos Bruno, j'ai brisé un
rayon du côté de la roue libre aujourd'hui, stie... ).
Ensuite, il faut mettre à profit la qualité principale d'un grimpeur : la
patience !! Il faut se dire que tant et aussi longtemps qu'on avance c'est
bon signe. Surtout ne pas regarder l'odomètre; c'est parfois décourageant
de le voir osciller entre 6 et 10 km/heure et de réaliser qu'à ce rythme
là on devrait arriver au bed & Breakfast vers 10 ou 11 heures du soir...
Finalement, faut trouver à quoi penser. C'est long en ti-ti un col. Faut
trouver le genre de cinéma cérébral qui va nous faire faire encore
quelques mètres, parce que quand on agonise dans une pente de 12 ou 13 %,
on la prend 10 mètres par 10 mètres et on se dit à chaque fois que c'est
fini après le prochain virage.
Alors on s'imagine qu'on est en train de battre Lance Amstrong, ou en
train de "clencher" Richard Virenque (célèbre grimpeur français) et que
tous vos amis vous regardent à la télé et vous encouragent, que vous allez
faire la couverture de Sports Illustrated, que le gagnant de cette étape
passe la soirée avec Miss Tour de France 2001, enfin n'importe quoi,
pourvu que ça vous motive.
Surtout éliminer les pensées négatives genre :
-Imbécile, t'es tout seul perdu dans la toundra de l'Irlande de l'ouest et
personne te regarde.
-Pauvre con, t'a payé ton billet d'avion 1000 $ pour subir ça.
-Tes amis et ta famille s'en contre-balance si tu la fait ou pas la bosse
... etc .
Voyez ce que je veux dire ?
Si vous calculez mal ou si votre cinéma ne marche pas, la bosse gagne !!
Si ça va bien, et que la bosse achève, vous pouvez alors augmenter la
cadence et même monter sur vos pédales (en valseuse comme on dit en jargon
vélo). Plus vous approchez du sommet et plus vous vous dites qu'à chaque
coup de pédale vous écrasez cette cliss de bosse qui vous fait tant
souffrir et si vous êtes bon calculateur de vos efforts, vous savez que
c'est vous qui allez gagner.
Parlant douleur, si j'aurais a choisir le type de sensation la plus
désagréable en sport: la palme revient à celle que vous avez quand une
côte est en train de vous malmener; même au marathon j'ai rencontré le
fameux mur 2 ou 3 fois, mais c'est moins pire que de grimper un col et de
sentir que celui-ci est en train de réussir à vous sucer tout votre jus
...
Si vous êtes un tantinet sadique vous ferez comme moi: au sommet vous vous
raclerez au plus profond de votre appareil naso-otho-rhino-laringien et
vous cracherai sur la tête de la bosse pour lui faire payer toute l'acide
lactique qu'elle vous a fait produire et tout le temps que vous aurai
perdu dans la montée.
Y a rien là les côtes, entrainement-technique-beat-calcul-visualisation et
le tour est joué... enfin, la plupart du temps ...
Wind
Ben c'est là que la vie d'un cyclotouriste se complique ...
L'élément le plus important pour un marin irlandais est le vent. Un seul
mauvais calcul et c'est la catastrophe. Il y a quelques centaines
d'années, une bonne partie de la puissante Armada espagnole s'est échouée
au large de la côte ouest de l'Irlande ( 30 navires, 8000 marins et
canonniers, 2100 rameurs, 19000 soldats et 2431 pièces d'artilleries ...
tout ça à cause du vent ... )
Le vent est invisible, il ne s'arrête pas, et contrairement aux bosses,
plus vous allez vite plus il vous ralentit.
On ne peut pas se battre contre le vent; en fait, on doit s'incliner face
au vent, on baisse la tête, on se penche ; les biomécaniciens vous dirons
que c'est de l'aérodynamisme et qu'à partir de 18 km/h il devient le
principal facteur de ralentissement.
La vérité, c'est que le vent veut soumettre le cycliste.
Et si vous essayez, comme au bout d'une bosse, de l'insulter en crachant
dedans, le vent vous renvoi votre crachat en pleine face ...
Le cycliste ne lésine pas avec le vent, et c'est pourquoi les autres
éléments aiment bien faire équipe avec lui :
mauvais pavage + vent + pluie + côtes = journée d'enfer assurée ...
Le pire des éléments pour un cycliste, c'est le vent.
Fuck you le vent