Mon partenaire de jogging n'est plus.

Yvan Campbell

 

 

St-Blaise, 29 juin 2003

On lit dans les livres sur les chiens qu’avec la vieillesse ceux-ci ralentissent, veulent moins jouer, deviennent moroses. Ça n’a jamais été le cas avec ma chienne Doogie.

Bien sûr que l'hiver et sa froide humidité avait été cruel pour ses vieilles articulations. Les tulipes étaient sorties un peu tard cette année, mais le chaud soleil était encore revenu lui permettre de faire sa tournée du bois sans être ennuyée par 1 ou 2 pieds de neige. Elle s’était même permise de courir après un écureuil une ou deux fois !

Ce qui était étonnant avec elle, c'est que même si son corps était alourdit par les années, elle n’a jamais perdu le goût de jouer. Il y a peut-être une leçon là.

Aujourd’hui, nous avions passé la journée à l'extérieur. En entrant dans la maison en fin d'après-midi je l'ai aperçu à son endroit habituel, c'est à dire dans sa cabane improvisée que constituait la table de la cuisine.  Par contre au lieu d'accourir et de venir nous accueillir comme elle le faisait à l'habitude, elle restait en dessous de la table à me regarder d'une drôle de façon. Elle était manifestement incapable de se remettre sur ses pattes. Ce n'était pas la première fois, mais habituellement elle finissait par se hisser sur ses jambes pour me suivre dehors.

Cette fois-ci, elle n’y est jamais arrivé.

Je l’ai prise dans mes bras et je l’ai amené sur la véranda en arrière et je l’ai couché. Elle m’a d’abord regardé, et ensuite elle s’est mise à scruter le ciel qui à ce moment là s’est mis à se couvrir comme si lui aussi avait compris que l’inéluctable était pour aujourd’hui le 29 juin 2003. Comme moi, il commença à verser ses gouttes d’eau.

Après 13 ans avec Doogie j’ai découvert que les animaux pensent que la vie est un cycle, un espèce de cercle : le matin, le midi, le soir, le lundi, 6 jours ensuite et on revient au lundi. Le printemps, l’été, l’automne, l’hiver, et on recommence, on recommence toujours. Les grands penseurs disent que la principale différence entre nous et les animaux est que ceux-ci ne savent pas qu’ils vont mourir. C’est vrai, sauf qu’aujourd’hui j’ai découvert que ceux-ci réalisent quelques heures avant, que le cycle va s’arrêter. Doogie, par son regard, m’a fait comprendre qu’elle était fatiguée, pas tannée de jouer, juste fatiguée. Il faut bien un jour que le cycle arrête.

A ma demande le vétérinaire a fait un spécial et est venu chez nous. il a installé son équipement sur la table, et nous a expliqué comment ça se passerait. Même s’il fait ça régulièrement, j’ai vu que ce n’était pas l’aspect favori de sa profession.

Les intellos diront que je fait de l’anthropomorphisme... Ok le cerveau d’un chien est moins évolué que celui d’un humain, mais le cerveau canin possède un système limbique, donc capable d’émotions. Pas aussi élaborées que ceux des humains, mais un chien peut-être triste, joyeux, content, etc. Et les chiens ont un sens de l’observation incroyable de sorte qu’ils perçoivent nos propres émotions et y réagissent.

Le vent s'est soudainement arrêté, pas une feuille ne bougeait et le soleil s'est montré bout du nez pour un salut final.

Le vet m’a demandé de prendre la tête de Doogie dans mes bras, ce que je fis en m’assurant qu’elle et moi on se regardent dans les yeux.

Le liquide libérateur coula dans ses veines, et je vis doucement défiler dans ses yeux des images de Julie, de Manon, puis de Sylviane, et finalement ceux d’une toute petite fillette qui, un peu maladroitement, lui flattait le bout du museau. Ensuite, un fin nuage gris recouvrit ses yeux, que respectueusement je lui aida à refermer en même temps que les miens se noyaient.

Déjà en écrivant ce bout de texte thérapeutique pour moi, je me surprend déjà à me retourner et à la chercher en dessous de la table de cuisine. Le vet nous a dit qu’il fallait vivre notre deuil. Que c’était normal que l’on soit très triste, car c’était une partie de notre vie que l’on perdait.

J’ai recouvert Doogie de sa couverture préférée, lui déposa une marguerite sur son museau et partis avec mon épouse creuser sa dernière niche dans notre bois, le long d’un sentier où je passais tout le temps en revenant de jogger avec Doogie. Comme ça je me dis que je pourrai la saluer en passant.

Nous avons mit son "lit" dans la fosse, l’avons enveloppé dans sa couverture blanche, la tête face à l’est pour les levers de soleil, avec sa laisse, ses jouets, son bol, et une fleur mauve. Sylviane a laissé tomber la première pelletée, moi j’ai fait le reste.

Salut Doogie.

Correspondance:

Yvan Campbell